Féminisme / Droits des femmes - Congrès PCF

Entre la médiatisation de B. Cantat et de J. Sauvage, quelles perspectives pour le féminisme ?

Bertrand Cantat a tué sa compagne Marie Trintignant à Vilnius en juillet 2003. Ce féminicide a été immédiatement médiatisé en raison de la notoriété de la victime, du coupable et de l'entourage de la victime. En 2006, en France, 3 ans seulement après ces faits, 137 femmes mourraient sous les coups de leur conjoint ou ex conjoint. Qui le sait ? Qui peut citer un nom ? En 2018, aucun changement: une femme est tuée tous les 3 jours par son conjoint ou ex conjoint. Au moins, B. Cantat a été arrêté, jugé, condamné, il a fait sa peine : et le suivi de sa peine a été sans particularité. L'appareil judiciaire a travaillé avec lui à sa réinsertion. Il a un métier : chanteur. Et il a repris son métier de chanteur. Il a un public, sans commune mesure avec celui de Noir Désir. Pour ma part, je pense que la perte de public est normale, au vu de son acte, que certains de ses collègues musiciens n'ont plus voulu travailler avec lui. . Il a repris ses activités professionnelles, en faisant des concerts dont l'annonce a été très médiatisée du fait des manifestations de féministes qui s'y opposaient. Certains concerts ont été annulés et d'autres déplacés. En fait, il a fini sa tournée, en étant médiatisé grâce à des féministes ! Concernant la justice, le projet progressiste, est de travailler à la réinsertion des condamnés à des peines de prison. J'ose espérer qu'il y a un consensus sur cet aspect de la justice, à gauche, et y compris chez les féministes ! Nous connaissons tous et toutes les difficultés de la justice par manque criant de moyens humains et autres à bien travailler sur tous les territoires. Pourquoi B. Cantat ne devrait-il pas être traité comme tout justiciable ? Pourquoi n'aurait-il pas droit à une réinsertion après sa condamnation ? Il est chanteur, c'est son métier. Il devrait pouvoir continuer sa profession aussi bien qu’un DRH. L'obstination dont font preuve certains mouvements féministes en s'opposant aux concerts de ce chanteur est contre-productive et va à contre-sens du progrès humain pour plusieurs raisons : Contre-productive : ce sont ces manifestations qui médiatisent les concerts de B. Cantat qui pourraient passer inaperçus. Anti-progressiste : ces manifestations vont à l'encontre des droits humains, car elles s'opposent à la réinsertion de cet ancien prisonnier. De plus, il y a un autre aspect de cette histoire ; comment médiatise-t-on la lutte féministe. J'ai l'impression que le tempo donné par certain-e-s féministes, y compris dans le pouvoir actuel . La propension à faire des tweets et autres commentaires précipités sur les réseaux sociaux, sans analyse visible pour ma part, comme guidés par une « certaine spontanéité » ouvre la porte à la paupérisation de la réflexion féministe et minimise son inscription dans l’émancipation humaine. On n’en arrive des positions difficiles à comprendre comme la défense du droit des hommes à importuner les femmes, défense portée par des femmes… Enfin, il y a une désastreuse et mortifère tentative d'instrumentaliser les décisions de justice partout et pas seulement dans le domaine des violences faites aux femmes. Comment ne pas faire de parallèle en ce qui concerne le comportement de certain.e.s féministes face à l’histoire de B. Cantat et de Jacqueline Sauvage ? Jacqueline Sauvage ayant tué son mari le lendemain d’un énième épisode de violence envers elle, n’acomplit pas sa peine, retourne dans sa famille, théâtre d’actes violents, entourée par la mort (mari tué, fils suicidé), sans doute dans de lourds non-dits. A-t-elle eu les moyens de comprendre le sens de ses actes, y compris ceux qu’elle n’a pas faits pour se protéger, pour défendre ses enfants ? Elle ne se sent pas coupable avec l’approbation de ses avocates, de certains médias et des réseaux sociaux qui l’ont mise en scène. La médiatisation extrême (jusque dans le prétoire, un téléfilm) de son histoire l’ a-t-elle réellement aidée, quel retentissement peut-il y avoir sur sa famille ? La médiatisation de ces deux histoires n'a rien favorisé, ni réflexion, ni contribuer au projet politique que nous pouvons avoir. Le téléfilm sur l’histoire de Jacqueline Sauvage a incité les réactions affectives à diriger les positionnements des un.e.s.et des autres. Et c’est sur ce fonctionnement que la mobilisation féministe se fait en ce moment en France. Un homme qui tue sa compagne et qui fait sa peine n'aurait pas le droit à la réinsertion. Une femme qui tue son conjoint dans un contexte de violences familiales, ne fait pas sa peine et sort grâce à la pression publique , à la médiatisation orchestrée par à ses avocates qui avaient choisi ce mode de défense hors prétoire et relayée par des féministes . Savent-elles réellement dans quoi ont-elles enfermé cette femme et son entourage ? Depuis, les mouvements #metoo et #balance ton porc ont suscité la parole de nombreuses femmes, les balbutiements d’un changement d’attitude de la société envers les violences faites aux femmes. Mais le caractère ultra-médiatisé de ces mouvements peuvent avoir un revers ; surtout si la justice n’a pas les moyens de faire son travail, et si la politique, le débat de société ne font pas sens pour les hommes comme pour les femmes. Comme bien des aspects de notre société, la lutte féministe est traversée par des tentations populistes qu’il faut affronter. Je pense que la médiation des deux histoires en est une désastreuse démonstration. Pour ma part, ces deux histoires révèlent la nécessité absolue d’inclure la lutte féministe à notre lutte politique avec un seul but l’émancipation humaine, de tous les humains. Ce ne doit pas être un aspect du combat des communistes, le féminisme doit être partie prenante de tous les combats (travail, justice, accès aux droits, accès aux soins, culture, enseignements, formation, représentation politique, sociale etc. . .) Le prochain congrès du parti communiste français doit y contribuer. Christel Pfister