Écologie, enjeux de classe et projet communiste - Congrès PCF

Le communisme du XXIème siècle : redonner à tous la capacité d'habiter le monde

Une contribution du « Grain de Sel », le journal des communistes de la Croix-Rousse de Lyon www.graindesel.org La une de l’Humanité du 16 février 2018 mettait en scène un Karl Marx rigolard, maniant le skate les cheveux au vent. Comme cette année du bicentenaire de la naissance de Marx est aussi celle du Congrès de notre parti qui interroge jusqu’à sa survie, cette une mêlait donc notre tradition marxiste, dont nous devons continuer à clamer haut et fort la pertinence, et l’impérative nécessité de continuer à la faire vivre dans les réalités de notre temps - le fameux mouvement dialectique - en pensant la société dans son ensemble. Le « Grain de Sel » souhaitait apporter sa modeste contribution aux débats qui animeront notre parti jusqu’en novembre. Cette « une » nous dit que le communisme du XXIème siècle ne peut pas être le skate sans Marx où la fausse modernité nous aveuglerait. Des JO 2024 de Coca-Cola aux voitures électriques de Bolloré, en passant par la COP 21, nous devons clairement refuser de tomber dans ces pièges et interroger toute alliance avec leurs idolâtres quels que soient leurs pedigrees politiques. Le système capitaliste, qu’il soit vert ou drapé sous les oripeaux de la séduction, reste l’ennemi à combattre et à dépasser. Le skate sans Marx, c’est aussi la novlangue publicitaire qui accompagne cette fausse modernité comme autant de sucreries rassurantes offertes par le capitalisme à un peuple à qui il a confisqué toute capacité de décision. Nous devons refuser de cautionner, souvent contre un plat de lentilles, ce vocabulaire, et son idéologie sous-jacente, de la classe dominante. Non ni l’économie circulaire ni les villes intelligentes bardées de capteurs où il suffirait que le consommateur (oublions le terme de citoyen qui est une vue de l’esprit dans la cité capitaliste) télécharge une application pour la contrôler, ne sont des révolutions et des progrès pour le peuple. Juste une façon de continuer à polluer pour l’un, à vendre la ville aux compagnies des big data pour l’autre. Cette « une » nous dit aussi que le communisme du XXIème siècle ne peut prendre le risque de faire de Marx un fétiche car la tradition marxiste est aussi faite de pensées hétérodoxes et vivantes adaptées aux réalités mouvantes de nos temps. Si nous nions toute réalité objective au ruissellement et au marché qui s’autorégule, nous devons aussi combattre les pensées magiques qui vont de l’inepte yakafokon « sortir du nucléaire » jusqu’à notre assurance, parfois transformée en foi, en une nouvelle technique qui viendrait gommer les impacts négatifs de la précédente. Marx Et le skate, c’est partager, sans mépris, l’interrogation de nombreux communistes convaincus que notre parti est miné par un « idéalisme du progrès » qui l’a conduit à un aveuglement face aux réalités sociales et environnementales des forces productives et à une incapacité à penser, dans la pratique, les incohérences du progrès technique qui est, avant tout, un technocapitalisme. Ce n’est pas faire œuvre d’apostasie que de poser ce débat, bien au contraire : Notre humanité ne peut être réduite à une équation, aussi juste soit-elle. La question, par exemple, de l’énergie électronucléaire ne peut être réduite à une démonstration scientifique de sa pertinence pour lutter contre le réchauffement climatique, aussi juste soit-elle. Sortir de cet aveuglement, ce n’est pas théoriser sur le danger pour l’environnement de programmer des centaines de nouvelles plateformes aéroportuaires dans le monde, et soutenir, dans le même temps, celui de Notre-Dame des Landes en se réfugiant derrière un inepte referendum que nous aurions vilipendé pour des centaines d’autres objets. Le skate ET Marx, c’est aussi l’assurance de ne pas tomber dans une autre fausse modernité, tout aussi grave car touchant des concitoyens s’assumant aussi anticapitalistes. Nous voulons bien évidemment parler du fameux « nous sommes 99%, ils sont 1% » et la recherche d’un peuple uni contre le capital avec le double risque de tutoyer de trop près un nauséabond nationalisme et de balancer dans les oubliettes de l’histoire la lutte des classes, empêchant ainsi toute coalition de classes luttant contre celle qui est au pouvoir depuis trop longtemps. Nous devons ainsi clairement réaffirmer que la classe dirigeante engendre une classe dominée et monopolise les moyens de productions pour son seul intérêt sur le dos de ceux qui vendent leur seule force de travail. Nous devons ainsi clairement réaffirmer que l’Etat fait partie de ces rapports de production, il est conditionné par les facteurs économiques. Il est un instrument de la classe dominante pour organiser la société à son profit. Soyons clairement convaincus que le « nous » de Macron, comme avant celui de Hollande, ne sera jamais celui de la France et de tous les Français, mais seulement celui de sa classe qui l’a mis au pouvoir pour servir ses seuls intérêts. Le communisme du XXIème siècle, c’est aussi s’interroger sur la course mortifère du processus d’accumulation du capitalisme qui ne tendrait pas mécaniquement vers l’avènement des rapports de production socialistes, mais nous ramènerait à une société esclavagiste que la publicité rendrait désirable. Voilà pourquoi le communisme du XXIème siècle ne doit plus suivre les Bernstein contemporains et réaffirmer son fondement révolutionnaire. L’opportunisme et la tactique ne peuvent plus être une ligne de conduite car elle remet en cause l’existence même du mouvement socialiste et la mobilisation de classes potentiellement « coalisables ». Sortons de notre esprit le mythe de « l’action socialisante progressive sur l’économie capitaliste », pour reprendre la belle expression de Rosa Luxembourg dans son combat contre les réformateurs, on les voit encore de nos jours, complètement ingérés par le système capitaliste. Se réenraciner pour se défaire du capitalisme Notre conscience politique pour un communisme du XXIème siècle passe donc nécessairement par un réenracinement dans notre tradition révolutionnaire. Au « Grain de Sel » notre conviction d’un communisme qui rallie les masses passe tout aussi nécessairement par un réenracinement dans notre environnement nous permettant de transformer radicalement les fondations d’une société minée par un capitalisme qui nous a tous déracinés. Au « Grain de Sel », nous sommes convaincus qu’il ne suffit plus de simplement pérorer sur le citoyen devenu uniquement producteur/consommateur à cause du système capitaliste. Nous devons, dans les pas de Marx, redéfinir sa notion de métabolisme en étant ancré dans la réalité de notre monde. Le communisme du XXIème siècle doit réinterroger l’Homme dans sa totalité organique, un être au monde dont le capitalisme, par ses abstractions, a forcé ses sens à l’artificiel et au simulacre, a forcé à abandonner le goût des choses et le sens des nuances. Le capitalisme empêche nos vies, et son bras armé, la publicité, nous fait croire que c’est ce que nous voulons. Réveiller ce qui est vivant, notre capacité d’autonomie et d’agir face à l’abstraction mortelle du capitalisme passe par un réenracinement, un retour au concret en tant qu’habitant de la Terre. Ce qu’écrivait Marx dans la partie sur la « Machinerie et la grande industrie » du Livre 1 du « Capital » est terriblement d’actualité, mais nous devons être en capacité de lui donner chair dans le quotidien des classes exploitées. Oui, « tout progrès de l’agriculture et de l’industrie capitalistes est non seulement un progrès dans l’art de piller le travailleur, mais aussi dans l’art de piller le sol ; tout progrès dans l’accroissement de sa fertilité pour un laps de temps donné est en même temps un progrès de la ruine des sources durables de cette fertilité ». Relire régulièrement cette phrase pour réellement l’incarner dans des luttes quotidiennes est absolument essentiel pour radicalement renverser nos modes de pensées au risque sinon de faire du Bernstein sans le savoir. Au « Grain de Sel », nous sommes convaincus qu’en se trouvant broyée par le technocapitalisme, notre humanité se voit ôter tout savoir-faire singulier, toute connaissance intime des cycles de la nature, toute capacité d’interagir de façon harmonieuse avec l’environnement proche et ceux qui y vivent. Le capitalisme nous a violemment déracinés du milieu culturel et de l’organisation sociale autonome qui nous engageaient charnellement avec les lieux où nous habitons, pour nous asservir à des besoins marchands dont la production devenue abstraite isole tous les damnés de la terre. L’Argent devenant la seule marchandise visible de tous. Il y a donc nécessité à ce que chaque Homme soit de nouveau lié à sa terre par des liens culturels, sociaux et économiques, ce réenracinement devant nous permettre d’interroger et de transformer tout ce qui nous aliène, de la métropolisation (acmé du capitalisme désincarné) à la grande distribution en passant par l’attrait d’un veau d’or numérisé. Ce réenracinement, c’est aussi une capacité de maîtriser tant nos outils de production que d’organiser collectivement et démocratiquement ce que nous produisons en harmonie avec notre environnement naturel. Sortir du « despotisme d’usine », c’est « simplement » une mise en pratique du fameux métabolisme de Marx qui n’est certainement pas l’ancêtre de l’économie circulaire, nouvelle logorrhée technocapitaliste permettant de continuer le saccage. Le réenracinement est donc la condition absolue pour que le travail perde son caractère abstrait- le prix en argent devenant le seul aspect visible, la seule marchandise réelle - et que nous puissions réinterroger le mode de production et sa réappropriation. Il est ici utile de se souvenir des « eaux glacées du calcul égoïste » du Manifeste tant pour justifier ce retour à la proximité (avec la terre, entre les hommes et les moyens de productions) que pour tourner définitivement le dos à ceux avec qui nous nous fourvoyons depuis trop longtemps. L’économie a colonisé la totalité de nos vies, exigeant rentabilité et soumission. Les premières victimes de ce totalitarisme soft sont les classes sociales qui ne peuvent vendre que leur force de travail. La double peine étant que le seul bien de ceux qui ne possèdent rien est méthodiquement cassé par cette phynanciarisation de nos vies : les services publics, et l’égalité et la dignité qui vont avec. Tout ce qui n’est pas plus-value pour le capitaliste doit être irrémédiablement détruit. Jamais le capitalisme – avec l’aide volontaire de ses supplétifs et celle, inepte, de ceux qui pensent qu’en l’accompagnant on peut le maîtriser - ne répondra aux enjeux humains. Nous devons affirmer notre tradition révolutionnaire, car elle seule peut radicalement transformer certaines institutions centrales de la société par l’activité de la société elle-même. Les services publics accessibles à tous sont les préalables à cette transformation. De l’atelier de quartier * (où l’autonomie et l’échange de savoir-faire doivent être la base de la solidarité et de la coopération) jusqu’à l’Etat (garant de la justice sociale et territoriale et mettant loin des griffes de la phynance, l’énergie, le logement, la santé, l’eau, les transports en commun, les banques ou encore l’éducation), le communisme ne doit rien céder à cette impérative nécessité de répondre aux besoins des femmes et des hommes et particulièrement les plus fragiles d’entre nous. Le réenracinement, c’est aussi le préalable à l’épanouissement des solidarités communes, pendant citoyen et autonome des services publics. Les uns devant nécessairement aller avec les autres pour redonner à chacun l’envie et la capacité d’agir et d’interagir dans la proximité. Cette proximité où le citoyen peut agir en commun passe par une réappropriation des espaces publics de nos cités, petit à petit privatisés et vendus aux plus offrants. L’espace public doit redevenir le lieu de la négociation et du conflit pour faire société, et non pas le mortifère espace de la consommation et de la spéculation. Oui Marx ET le skate, c’est se rappeler cette « grande transformation », acte fondateur de la dynamique du capitalisme moderne : le closage des communaux (les enclosures). Dans nos villes et nos campagnes, nous devons retrouver ce droit d’utilisation d’espaces communs pour y produire des valeurs d’usage où nous, les habitants, planifions nos besoins fondamentaux et nous nous réapproprions notre présence au monde, en lui redonnant de la valeur grâce à des interactions basées sur des relations sensibles. Seul ce réenracinement absolument nécessaire permettra de sortir de ces modes de production qui nous embrigadent dans une prison invisible et de cette vision unidimensionnelle de l’être humain imposée par le néolibéralisme. Seule ce réenracinement nous redonnera une capacité, existentielle, d’agir et de fabriquer notre propre histoire, mais aussi de gérer, « entre producteurs associés », les échanges entre les peuples et avec la nature. Ainsi, le communalisme de Bookchin et la biorégion de Magnaghi ou Gorz ne peuvent plus être évacués d’un revers de main pour la seule raison d’un marxisme par trop hérétique pour les gardiens du temple. Ce réenracinement permettant les solidarités territoriales par la base est le préalable nécessaire à la coconstruction d’institutions démocratiques ou pour le moins à une prise de contrôle de celles existantes. Ce réenracinement, il faut être clair, n’est pas naturalisme et encore moins un localisme qui rejetterait un monde extérieur violent (et les immigrés par la même occasion), ou le simpliste slogan « small is beautiful » qui permettrait aux plus aisés de se soustraire des solidarités (inter)nationales. Que les communistes interrogent l’écologie sociale, c’est bien pour se défaire d’un naturalisme bourgeois et individualiste, souvent porté aux nues par cette écologie médiatique qui depuis 40 ans se fourvoie pour des places. Que les communistes interrogent l’écologie sociale, c’est bien pour transformer les rapports politiques au sein de la société, car protéger la nature passe nécessairement par l’émancipation sociale et la fin des exploitations et des dominations (dont le rapport femme/homme inhérent au capitalisme), et certainement pas uniquement par une idolâtrie technocratique planifiée qui nous guérirait de tous nos maux. Ni primitive ni technocratique, voilà l’écologie sociale que seul le communisme peut porter. Elle se base sur une citoyenneté active dans l’action politique forcément anticapitaliste. Il y a bien évidemment nécessité à confronter la pensée de l’écologie sociale à la réalité de nos vies. Et qu’on l’appelle, territorialiste ou municipaliste, la proximité doit redevenir Le lieu de vie, de ressources, de culture pour radicalement réorienter la relation entre les Hommes et avec leur environnement. Alberto Magnaghi, dans son projet local le rappelle très clairement : « en ne critiquant pas suffisamment les causes de la dégradation environnementale, l’approche qui vise à la seule sauvegarde de la nature risque en permanence de retomber dans des actions sectorielles et correctrices, qui n’entament en rien les lois du développement dominant ». Voilà un point où les communistes sont en capacité de proposer une autre voie que celle qui tue l’écologie politique depuis René Dumont. Le développement local auto-soutenable et la coopération territoriale, avec des habitants de nouveau en capacité d’agir, doivent être des pistes à creuser pour réellement changer de paradigme. Oui la nature s’arrête de respirer dans le corps des marchandises et la financiariser ne peut qu’accélérer notre perte à tous. Les services publics doivent donc être l’outil d’un Etat solidaire qui nous protège de toute prédation. Le Maire, comme le Président de la République, sont les administrateurs de nos biens et ceux des générations futures. La démocratie leur demande que la richesse produite par nos biens soit répartie de façon juste et que nos descendants puissent en jouir de la même façon. La reterritorialisation sensible des moyens de production avec des producteurs et des consommateurs associés doit nous permettre d’éviter l’écueil de l’abstraction du travail et ses impacts tant sur les hommes que sur la nature et redonner une citoyenneté active à des habitants concrètement impliqués et responsables. Ainsi le présent doit être politique à travers l’action collective réfléchie visant à faire société et les communistes doivent pouvoir continuer à plonger la sève qui les nourrit dans leurs racines marxistes absolument indispensables pour comprendre et transformer les malheurs de ce monde, sortir du désarroi de notre temps et retrouver le goût des choses et le goût des autres. * Qui n’est pas nécessairement un FabLab ou tout faux nez d’un do it yourself numérique empêchant toute collectivisation des ressources et savoir-faire, mais plutôt un atelier avec des « oeuvriers » pour reprendre le beau néologisme de Roland Gori.