Elections Européennes 2019 - Congrès PCF

Intervention débat Europe organisé par la section du 20e arrondissement de Paris

Je publie ici la trame de mon intervention dans un débat organisé le 8 février dernier par la section du 20e arrondissement de Paris sur les enjeux européens. J'y suis intervenu avec Miguel Viegas, député européen du PC portugais. Etape majeure de l’histoire de l’UE tant pour la bourgeoisie que pour les peuples européens. Plusieurs éléments montrent que nous sommes à une étape majeure de la lutte de classes en Europe. Dessine un paysage instable et incertain pour les élections européennes de 2019. 1/ L’UE a fait preuve de sa totale incapacité à sortir les peuples de la crise du capitalisme du fait de ses tares congénitales Et ce alors que la crise du système capitaliste peut tout à fait rebondir (« mini » krach boursier en cours, 170 000 milliards de dette mondiale : le capitalisme vit à crédit). a- L’UE : bâtie surtout depuis l’acte unique de 1986 et le traité de Maastricht de 1992 sur la primauté absolue du marché, et sur le fétichisme et le culte aveugle de la concurrence. Les mécanismes de régulation au niveau des états sont détruits par les traités européens (aides d’Etat illégales, aides entre Etats illégales) => loin d’un rapprochement utopiste entre les Etats, cela renforce les égoïsmes nationaux en temps de crise, comme l'a montré la crise grecque. Les traités empêchent toute politique industrielle, toute politique de développement européenne. Les règles de l’UE creusent la tombe d’un certain projet européen qui promettait dans l’article 2 du traité de Rome « le rapprochement entre les Etats et l’amélioration globale du niveau et de la qualité de vie ». Ces règles s’imposent à la souveraineté populaire et à la démocratie. L’UE est bâtie sur un déni de démocratie. Junker après la victoire de Syriza en Grèce : « Il n’y a pas de choix contre les traités européens ». b- Les effets de la crise sont toujours prégnants. Dans ce contexte, les dispositions des traités creusent les inégalités en Europe. - Le taux de chômage a à peine et péniblement retrouvé son niveau de 2007. La création d’emploi a été nulle dans l’UE en 10 ans. - Ce chiffre cache le fait que les inégalités entre pays se sont encore davantage creusées entre l’Allemagne d’un côté, la Grèce, l’Espagne, l’Italie de l’autre côté. De tels écarts sont insoutenables pour une zone économique et monétaire commune. - Le salariat a éclaté entre des emplois qualifiés et des emplois non qualifiés et précaires (qui concernent de plus en plus les femmes). Les inégalités salariales explosent, les fragmentations sociales se creusent entre les pays et à l’intérieur des pays.  Cela souligne l’importance des luttes en Europe, comme la lutte dans l’industrie allemande. c- Le caractère punitif de l’Euro tel qu’il a été conçu dans les années 1990 est un élément de crise supplémentaire (une monnaie tronquée, sans budget associé). L’Euro est une machine à divergence et non à convergence. Il est utilisé comme outil disciplinaire budgétaire et salarial (critères de convergence, pacte de stabilité et de croissance). Le problème est que la zone Euro est incapable d’assurer la moindre régulation entre les économies divergentes de ses états membres du fait de la concurrence libre et de la liberté du marché intérieur. Il y a un projet et une responsabilité politiques, celui des conservateurs allemands et des sociaux libéraux qui ont suivi leur politique : une politique brutale de baisse de salaires pour augmenter ses marchés dans la zone Euro. La crise a encore accentué les divergences entre les pays allemands et pro-allemands (forts excédents commerciaux + faibles déficits publics) d’une part et les autres (forts déficits commerciaux et forts déficits publics). 2/ Ces éléments de décomposition économique et sociale entraînent une décomposition politique et une crise potentiellement mortelle pour la gauche européenne. Car seule une minorité des peuples se reconnaît dans le « projet européen » sans qu’une alternative de gauche sur le plan européen apparaisse aujourd’hui crédible. Le Brexit est révélateur de l’ensemble de ses éléments. Une solution de gauche portée par le gouvernement Syriza a été écrasée sans pitié par un véritable coup d’état en juillet 2015. La gauche européenne, dans toute sa diversité, a été incapable de bâtir un rapport de force en laissant le gouvernement Tsipras et le peuple grec seuls face aux classes dirigeantes européennes alignées sur les conservateurs allemands. Il est aujourd’hui de bon ton dans une partie de la gauche en Europe de donner des leçons et de vouer Tsipras aux gémonies et de brûler ce qu’elle a adoré il n’y a pas si longtemps, comme si Tsipras aurait dû être une espèce de démiurge capable à lui seul de briser le talon de fer imposé par les conservateurs allemands. La vérité est que les créanciers ont fait entrer le gouvernement grec dans le lit de Procuste de l’austérité et des « plans d’aide » en le forçant à adopter des mesures dont personne ne veut ni pour la Grèce, ni la France, ni pour l’Europe. Il s’agit pour la bourgeoisie européenne de faire un exemple expiatoire en forçant Tsipras à aller à Canossa la corde au cou. L’expérience grecque et du gouvernement grec sonnent comme un échec terrible pour la gauche européenne. La droite européenne réutilise certains fondamentaux de l’extrême-droite (droite française, Wauquiez est un phénomène européen). Exemple de la question des migrants pour laquelle les discours d’exclusion sont légitimés un peu partout en Europe. L’espace Schengen a de fait éclaté. Le gouvernement français porte une grande responsabilité. L’extrême droite est entrée dans un processus de légitimation politique. En France, en Autriche : plus personne ne s’émeut de la présence de partis néo-fascistes au second tour d’une présidentielle voire au gouvernement. La Pologne sert de laboratoire pour une droite nationaliste, belliciste, cléricale et atlantiste, contre laquelle d’ailleurs l’UE ne réagit que très mollement (si on compare sa réaction à celle qu’a eu à subir la Grèce). L’Italie concentre les éléments de décomposition économique, territoriale, sociale, politique et idéologique. La gauche y a quasiment disparu (on peut saluer la démarche de Potere al popolo). Berlusconi et les organisations qui se réclament ouvertement du fascisme ont le vent en poupe (Macerata). Le M5S en position d’arriver en tête aux législatives. 3/ La bourgeoisie se recompose pour reconquérir son hégémonie Les risques de décomposition qui entraînerait l’ensemble de l’édifice européen réveillent un certain « effroi bourgeois ». Tribunes régulières de chefs d’entreprises, du FMI, d’économistes libéraux pour appeler à un changement de tactique. L’affaiblissement (peut-être provisoire) de Merkel et la mise à l’écart de Schauble d’une part et l’irruption de Macron sur la scène européenne redistribuent les cartes dans les bourgeoisies européennes. The Economist : « la France est le pays de l’année 2017 ». Vision de Macron qui entre en résonnance avec les propositions de Junker en vue de la réunion du conseil européen de juin 2018. Prendre au sérieux ce que dit Macron car il fixe la hauteur des enjeux politiques à laquelle il est nécessaire de se placer. Le projet de Macron se compose de 3 éléments : a/ Le maintien des objectifs stratégiques (modifier durablement et historiquement les rapports de force en Europe et maintenir la primauté au marché et à la concurrence) en faisant des écarts tactiques envers la période précédente qui a été marquée par la domination politique de la droite allemande. Cela implique d’accepter un certain mécanisme de redistibution et de mutualisation des dettes (refusée par la droite allemande) à condition de soumettre ce mécanisme à l’application stricte des « critères de convergence » et du pacte de stabilité et de croissance (règle des 3%...). c’est l’idée de constituer un Fonds monétaire européen et d’avoir un ministère des finances ou un parlement de la zone euro. b/ redessiner à son profit le paysage politique et idéologique en opposant deux camps : celui « de l’ouverture » (libérale, européiste) et celui « de la fermeture » (nationaliste, xénophobe). Ce qui est une reprise, en miroir inversé, de la représentation de l’extrême-droite (« cosmopolites », « mondialistes » contre « patriotes »). C’est un piège mortel pour la gauche car cette vision efface toute perspective de progrès. Une partie de la gauche tombe dans le piège en cherchant peu ou prou à s’inscrire dans cette dichotomie (« indépendantisme français »). Cela représente une capitulation idéologique et politique. c/ le « retour de la France » en Europe et dans le monde : il ne faut pas sous-estimer les impacts que ce discours a dans la société française, dans la mesure où il tranche avec le gloubi-boulga hollandiste. « En même temps » que Macron organise le démantèlement des industries de souveraineté (Alstom). 4/ Que faire à gauche en Europe ? On peut avoir dans les différents pays européens une position différente sur la question européenne qui tient à la fois au positionnement du pays dans en Europe et de l’histoire du pays et des luttes qui y ont menées. La position que nous prenons doit correspondre à un état donné des rapports de force et de la nécessité de dégager des majorités sociales et politiques « et en même temps » des objectifs historiques que nous nous fixons. a/ Faut-il « sortir » de l’UE/ de l’euro ? C’est une solution faussement radicale car elle s’assoit sur les rapports de force concrets : - Le retour à une monnaie nationale dans un pays à déficit commercial engendrerait une inflation importante et une spéculation sur la nouvelle monnaie nationale (ce que les partisans de la sortie de l’euro reconnaissent par ailleurs) alors que cette inflation n’impliquerait pas automatiquement une hausse des salaires dans la même mesure (rapports de force entre les classes sociales). - Il n’est pas utile de fantasmer le fait que l’appareil économique et industriel français, profondément démantelé, et intégré sur le plan européen, puisse résister à une contre-offensive des classes dominantes européennes qui elles garderaient ses instruments de rétorsion au niveau européen. - Sortir de l’Euro, de l’UE n’impliquerait pas magiquement la venue au pouvoir d’une majorité de gauche ou du PCF. La « sortie » de l’Euro n’impliquerait pas magiquement la sortie du capitalisme. - La sortie de la France donnerait en France comme dans le reste de l’Europe aux forces nationalistes et d’extrême-droite car elle légitimerait leur discours. b/ Tout autant, il n’est pas possible d’espérer « réformer » l’UE, du fait des blocages des traités européens. Notre objectif n’est pas une Europe avec plus de ceci ou moins de cela mais de changer de logique et d’ouvrir des brèches dans l’UE néolibérale. Notre projet n’est une aventure hasardeuse, ni une harmonisation utopique ; ni un repli national, ni une fuite en avant fédéraliste. Mais il s'agit de prendre en compte à la fois la nécessité du renforcement de la souveraineté populaire et l'existence d'interdépendances. Il faut remettre en cause les intérêts des dominants au niveau national et au niveau européen.  C’est cette articulation qui manque au Plan B qui n’articule pas le rapport de force national et le rapport de force européen mais qui oppose les deux. Un raisonnement en deux étapes (Plan A/ Plan B) ne marche pas car : o le plan A est à l’évidence une fumisterie. Il n’y a que le Plan B en réalité. o Il ne s’appuie pas sur ce qui est possible de faire au niveau national pour faire avancer le niveau européen, et inversement. Le plan B est donc une aporie, une impasse logique, et donc une impasse politique qui revient à « donner le point » aux partisans du repli national avec les conséquences évoquées ci-dessus. Notre objectif historique est de : remplacer l’UE par une Europe des peuples et des nations libres, souverains et solidaires ; à remplacer « l’Europe de la défense » vassalisée à l’OTAN par un espace commun de paix, de sécurité et de coopération. c/ Pour arriver au premier objectif il faut ouvrir des brèches dans l’UE néolibérale en dégageant des axes capables d’initier un large rassemblement à gauche en France comme en Europe et de répondre au niveau nécessaire à la situation des rapports de force en Europe. La question du rassemblement et celle du contenu est à prendre d’un même mouvement. - Introduire des éléments de désobéissance : o Sur le pacte budgétaire : la France propose de le réviser et de supprimer les règles qui étouffent l’économie et les peuples européennes. Au besoin, la France s’en retire unilatéralement afin de porter un message aux peuples et aux gouvernements européens. o Ne pas appliquer les directives de libéralisation. Cela peut passer par un moratoire dans un premier temps. Elles impliquent de remettre en cause les cadres de régulation qui ont permis à la France de mieux traverser la crise que d’autres pays. o L’objet est de proposer une logique d’extension. Les initiatives de Macron montrent d’ailleurs à leur manière l’influence de la France en Europe (2e puissance économique de l’UE après le Brexit). Et d’instaurer une logique de rapport de forces. - Porter des éléments de rupture, des brèches, au niveau européen : o Les migrants. La question des migrants concentre les points nodaux de la bataille politique et idéologique (contre la droite, l’extrême-droite, le printemps républicain, voire Collomb…). C’est au demeurant un phénomène majeur et structurel : des projections annoncent 1 milliard de réfugiés climatiques en 2050. Mettre en avant non seulement l’accueil mais aussi les questions de logement, d’emploi… Cela concourt d’une bataille dont les enjeux ne sont pas seulement nationaux, mais aussi européens. La seule manière de répondre à cet enjeu est de rompre avec les égoïsmes nationaux et les surenchères régressives et d’appeler à une mutualisation des moyens au niveau européen. o L’utilisation de l’argent. « L’effroi bourgeois » a poussé la BCE à injecter, pour les marchés financiers, près de 4500 milliards d’euros (40% du PIB européen). Réorienter ces crédits gratuits ou quasi-gratuits, à associer avec une taxation des transactions financières et une lutte contre l’évasion fiscale (que l’évolution des interdépendances capitalistes porte au niveau européen) dégagerait des ressources considérables pour investir dans les services publics, une lutte pour un nouveau modèle de développement social et écologique, la transition écologique. Cela passe par l’instauration d’un fonds européen de développement social et écologique. Une question de démocratie et de pouvoir se pose donc : qui dirige les actions de ce fonds ? qui dirige la politique de la BCE ? Cela implique de mettre la BCE et ce fonds de développement sous contrôle politique (par exemple : dans un cadre intergouvernemantal des pays utilisant l’Euro). o L’Euro. Le problème n'est pas la monnaie unique en soi mais les outils associés à cette monnaie unique (pacte de stabilité et de croissance, indépendance de la BCE, divergence des économies). Le mode de fonctionnement de l’Euro, associé à des règles de « convergence » qui sont des outils pour les politiques néolibérales, est un problème pour les peuples européens. Cela n’implique pas de « sortir de l’Euro » mais de le transformer profondément pour faire une monnaie commune. Aujourd’hui, il est impossible d’utiliser le taux de change pour faire les ajustements nécessaires dans un contexte de divergence croissante entre les situations économiques et sociales des différents pays européens. Cela « oblige » les gouvernements à utiliser d’autres leviers de dévaluation, c’est-à-dire la dévaluation des salaires. On pourrait par exemple imaginer de maintenir un Euro, débarrassé du pacte de stabilité et de croissance et des critères de convergence, associé en cas de besoin économique à des représentants nationaux de l’Euro. Ces représentants nationaux temporaires ne seraient pas convertibles avec les monnaies extérieures à la zone Euro et seraient convertibles en Euro au guichet de la BCE, selon un taux qui serait ajusté par une décision politique et non par le marché des changes. Cela permet de prendre le meilleur du niveau national et du niveau européen : pas de spéculation sur les représentants nationaux de l’Euro, pas de marché des changes inter-européen. On garde donc l’effet de stabilisation de la monnaie unique envers l’extérieur (le cours de l’euro est resté relativement stable envers le dollar, même au cœur de la crise de la monnaie unique). Tous ces éléments permettent de changer la logique de la construction européenne en réhabilitant un projet européen au service des peuples et des nations et non à leur détriment, en luttant à la fois contre l’européisme libéral autoritaire et les tentations de repli nationaliste. d/ remplacer l’Europe de la guerre par une initiative diplomatique La « refondation » de l’Europe par Macron accorde une grande importance à l’Europe de la défense. L’accord de 23 pays européens signé en novembre 2017 exige de porter à 2% du PIB de chaque pays européen en 2023, ce qui est la réalisation d’une vieille exigence de l’OTAN relayée par Trump. L’ « Europe de la défense », en dépit des dires de ses promoteurs, n’est une alternative ni à Trump, ni à Poutine. Elle est compatible avec la vision de Trump de faire payer les alliés des USA. Elle est compatible et sert la vision de Poutine de la Russie comme « citadelle assiégée » ce qui légitime son discours nationaliste, au même titre que les sanctions imposées à la Russie dont nous demandons la levée immédiate. L’ « Europe de la défense », représente en outre un alignement des pays européens, dont la France, sur les visées bellicistes des gouvernements polonais et baltes. Pour combattre les risques sérieux de guerre, il est nécessaire de rompre avec la logique de blocs et de provocations directes ou indirectes dans laquelle s’inscrit « l’Europe de la défense ». Les pays européens, pour leur propre sécurité, doivent mettre sur la table une initiative diplomatique en direction de la Russie, ce qui implique de se dégager de la tutelle de l’OTAN. Il est nécessaire de porter la perspective d’un règlement global des points de fixation de la tension entre les pays européens et la Russie (course aux armements, guerre de l’information, Ukraine…) dans un cadre qui serait du type d’une deuxième conférence d’Helsinki. Cela permettrait de se placer dans la perspective d’un espace commun de paix, de sécurité et de coopération avec la Russie.