Nouveaux modèles d'organisation - Congrès PCF

LES "COMMUNS" OU LE "COMMUNISME" ?

Depuis quelques années il est fréquent d’entendre des dirigeant.e.s du Parti Communiste Français appeler à « faire du commun », où à être le « parti du commun » et de faire la « promotion des communs ». La réponse politique et économique au capitalisme néolibéral viendrait donc des « communs », et de la réactualisation d'un modèle de production hérité du moyen-age. La ZAD de Notre-Dame-Des-Landes (comme d'autres communautés du même type) et son organisation spontanée, autogérée, peut aussi donner l'idée que d'autres types de rapports économiques et sociaux peuvent être crées, en opposition au modèle capitaliste néolibéral. Il y a un travail idéologique à faire et plusieurs publications, notamment dans la Revue du Projet n°60 et dans la revue Cause Commune n°1, peuvent permettre un approfondissement de la question. Essayons de comprendre ces communs, avec une approche historique, car il faut savoir d'où ils viennent. Une approche politique, et comment ils deviennent une source d'inspiration. Et enfin les dépasser pour comprendre les limites réelles à ces derniers. I- D'où viennent les communs ? A l'image de la mondialisation capitaliste resurgit des formes d'exploitations permettant l'accumulation du capital au détriments des producteurs. L'une des résistances avancées par les détracteurs du capitalisme repose sur la revivification d'un modèle social, économique et politique : les communs. A) Des franchises accordées au Moyen-âge Les communs sont des terrains, des prés et des bois communaux que les habitants pouvaient exploiter selon un droit coutumier. Au moyen-âge, à partir du XIIème siècle (notamment en France et en Angleterre) se développe des systèmes de « franchises » qui permettent d'obtenir des « privilèges » via des chartes locales mettent en général les biens communautaires à disposition du peuple (droit de pâture, fagots, puis droit de chasse à partir de 1789). Les biens communaux sont ceux qui appartiennent à une communauté d'habitant à titre d'acquisition, concession gratuite ou onéreuse, et destinés pour être employés aux besoins de la commune en général, ou des particuliers qui la composent. Ce phénomène va de pair avec le développement des villes « franches » qui obtiennent des seigneurs la gestion propre de leurs devenir. Les habitant.e.s des villes obtenant le droit de se jurer entraide ou fidélité « commune ». Malgré la centralisation du pouvoir monarchique, les biens communaux parviennent à conserver un statut spécifique. Ces biens communaux sont attaquées régulièrement par les autorités royales (avec le « partage des communaux ») et cela jusqu'au développement de la Révolution industrielle en Angleterre et la Révolution française qui sonne le glas de ces terres au statut collectif. En Angleterre, ces communaux sont privatisés (Enclosur Act) et en France, la loi du 10 juin 1793 organise la cession des biens communaux à des particuliers. B) Des communs obstacle au capitalisme Le philosophe anglais John Locke (1632-1704) dans son Traité du gouvernement civil (1690) justifie la liquidation des biens communaux. Le mouvement des « Physiocrates » (ou mouvement des enclosures) mènent une lutte acharnée. Selon Locke le travail humain crée la propriété ce qui explique la privatisation des « communs » et la nécessité de les faire disparaître pour éviter les « gaspillages ». Il appelle à la création d'un « droit illimité à la propriété privée. L’appropriation privée des terrains communaux permettrait d’augmenter leur productivité et d’en faire bénéficier toute la communauté grâce aux échanges marchands. La conséquence fut l’extermination de peuples entiers, la mise en esclavage d’autres, la prolétarisation forcée de grands pans de la société. Le capitalisme industriel naissant ayant besoin d »une main d’œuvre nombreuses et peu chère pour trouver une alternative au coût élevé des artisans et des jurandes. Des résistances ce firent, notamment avec la révoltes des Canuts de Lyon (1831, 1834 et 1848). C) la renaissance des communs au XXème siècle Aux origines de la renaissance des communs se trouvent le Prix Nobel d’économie Elinor Ostrom, qui plaide dès les années 1990 pour une « gouvernance des communs », c’est-à-dire une pratique collective organisée qui soit à même d’empêcher l’épuisement des ressources naturelles. Michael Hardt et Antonio Negri (Commonwealth, 2009) ou plus récemment en France Pierre Dardot et Christian Laval (Commun, 2014), qui pensent le commun comme un principe politique susceptible de s’étendre à toutes les sphères de la société. L'économiste américaine Elinor Ostrom (1933-2012) dans La Gouvernance des biens communs (1990) estime qu'il n'y a pas de démarche scientifique mais des recherches empiriques sur les institutions et les formes « d’agir en commun » qui permettent d’assurer la pérennité et l’utilisation efficace des ressources communes. Ostrom conçoit la propriété, non pas comme une chose, mais comme un faisceau de droits (bundle of rights) et une relation sociale. Il identifie trois niveaux de règles qui régissent les communs, chacun donnant lieu à l’affectation de certains droits parmi les membres communs. - 1er niveau concerne les règles opérationnelles qui, pour un pool commun de ressources donné, déterminent les droits d’accès et de prélèvement. En principe, ces droits sont répartis de manière égale entre tous les membres communs. - 2nd deuxième niveau de règles donne lieu à des droits administratifs : les droits de gérer, d’exclure, de céder, ou de vendre. La distribution de ces droits relève de choix collectifs et implique que les communs ne sont pas forcément exempts de hiérarchie, surtout en fonction de l’échelle du système et du caractère des ressources. - 3ème niveau comporte les règles constitutionnelles : il s’agit de l’institutionnalisation du système de droits et de règles, mais aussi des conditions dans lesquelles peuvent être modifiés une partie ou l’ensemble du système. Cette théorie tente de dépasser le dilemme de la propriété privée individuelle et propriété publique d’État. Le tout régit par un régime de démocratie participative réglementée. La propriété ne se réduit pas à un droit absolu et exclusif sur une chose. Quelques exemples de communs apparaissent alors à toutes et tous : - Le réseau des associations pour le maintien de l’agriculture paysanne (AMAP). - Les entreprises coopératives. - Internet. Ainsi le commun se définirait comme un communisme de nouvelle génération. II- Une solution au dépassement du capitalisme ? C'est le « temps du commun », on pourrait expliquer que le temps de l’exploitation capitaliste, de l’accaparement des richesses par quelques-uns est appelé à prendre fin. Que le règne des 1 % doit laisser la place à celui des 99 %. Et que finalement le commun trouve sans peine des idées analogues dans de nombreuses productions communistes de ces dernières décennie. A) L'échec des modèles socialistes et le rejet du néolibéralisme La renaissance de l'idée des communs vient de deux facteurs : 1- La crise du modèle communiste avec effondrement du bloc soviétique et de l'abandon du « marxisme ». La plupart des auteur.e.s rejettent le communisme et tous les modèles issues de plus de 70 années d’expérimentations. Le niveau de vie, l'évolution de l’émancipation ne les intéresse pas. 2- La crise du modèle néolibéral. Pour Pierre Dardot et Christian Laval, dans l'ouvrage Commun : Essai sur la révolution au XXIe siècle (2014), le néolibéralisme est une pratique politique de mise en concurrence généralisée, dans tous les milieux possibles. Les individus sont eux-mêmes mis en compétition, grâce aux procédures d’évaluations individuelles et grâce à la crainte du chômage. Le néolibéralisme sait bien que nombre de tâches prises en charge par le service public n’intéressent pas les capitaux privés (car non rentables directement). Il faut donc bien un service public, mais il faut le soumettre aux normes du marché et le mettre en compétition avec lui même. L’État dans le néolibéralisme ne disparaît pas, il se reconfigure. B) Au delà des services publics, les communs Le commun est au-delà de l’alternative classique entre public et privé. Il prend la forme d’une critique adressée tout autant au marché qu’à l’État et dépasse le recours aux nationalisations. Le principe du commun pour les services publics permet de garder toujours en tête la question de leur fonctionnement démocratique et de l’implication des usagers dans leur gestion. Les services publics doivent eux aussi être repensés sous la catégorie du « commun ». Ils doivent se transformer en « institutions du commun ». Les services publics doivent être exclus du périmètre car ils sont dans le champ de l’étatique ou de l’institutionnel considérés comme étranger « par nature » à la démarche. Or l’activité des services publics concerne pour l’essentiel des domaines dans lesquels l’égal accès des populations doit être garanti et qui doivent être gérés, avant tout, avec l’objectif de répondre aux besoins. C) Les communs et question de la propriété privée des moyens de production Une « politique du commun » c’est une approche ni marchande ni étatique. C’est lutter contre les formes de confiscation du privé mais aussi du public, notamment l’insuffisance de la nationalisation. Une politique du commun consisterait plutôt à libérer le commun des entraves que le capitalisme ou l’État pose à sa puissance auto-créatrice spontanée. Le commun, chez eux, est un principe politique visant à promouvoir partout la forme de l’auto-gouvernement et de la co-activité. La solution viendrait ainsi de construire le maximum d’institutions baptisées « communs », qui organisent collectivement la gestion de ressources en refusant de s’adresser par facilité au marché ou à l’administration publique : jardins partagés, gestion commune de l’eau, échange d’appartements, réseaux d’échanges de savoirs, associations pour le maintien de l’agriculture paysanne (AMAP) Ainsi il suffirait d'organiser les activités économiques selon le principe du commun. Cela ne signifie pas supprimer la propriété privée ou restreindre son périmètre par transfert au public de certains domaines d’activité (santé, éducation, etc.). Mais la question des rapports de pouvoir dans l’entreprise privée est zappée s’éloigne de l’idée socialiste traditionnelle du simple contrôle ouvrier. III- Les communs, la renaissance du socialisme utopique Le dépérissement du socialisme utopique est la conséquence d'un travail idéologique mené par les penseurs du marxisme (Karl Marx, Friedrich Engels, Lénine) et de la réalité de la lutte des classes. Si aujourd'hui le socialisme scientifique s'impose comme référence, c'est parce qu'au cours du XIXème et du XXème siècle, des révoltions ont permis de comprendre comment la bourgeoisie s'accroche à son pouvoir. Les communs représentent une des facettes du socialisme utopique, et l'exemple tragique de la Commune de Paris, montre clairement qu'il n'y a pas d'avenir dans le développement d'une société des communs. A) Les communs où la domination du capital collectif et du partage de la pauvreté Dans les Manuscrits de 1844, Karl Marx voit dans les communs une approche d'un communisme grossier, une « expression positive de la propriété généralisée ». Pour lui c'est une conception imaginaire de la communauté qui fait de tous les individus des travailleurs soumis à la domination du capital collectif et tous égaux dans la pauvreté partagée. Ce communisme-là n’est jamais que le capitalisme collectivisé dans lequel le commun est la condition des nouveaux esclaves salariés. Pour Karl Marx, il faut opposer la vraie richesse sociale de l’essence humaine dont la propriété privée est la négation.La négation réelle de la propriété privée ne réside pas dans la domination de l’individu par la propriété commune, mais dans l’affirmation de la dimension sociale de sa vie individuelle. Pour l’homme, devenir ce qu’il est, c’est devenir « dans son existence la plus individuelle, un être social ». B) La Révolution informationnelle et le mythe des communs « mondialisés » Les post-marxistes (les révisionnistes du type Lucien Sève et les post-modernes) développent l'idée qu'il existerait des biens communs, où des biens communs mondiaux, notamment du fait de la révolution informationnelle et du développement des nouvelles technologies qui permettent de sortir des frontières nationales. Pour Elinor Ostrom et Charlotte Hess dans leur ouvrage Understanding Knowledge as a Commons : from Theory to Practice (2007), la production de la connaissance est considérée comme un bien commun avec une communauté qui lui est associée et des règles de fonctionnement propres (expl Wikipédia). C’est aussi un bien additif puisque l’usage des connaissances accroît leur valeur. C'est en opposition à une exploitation privative du savoir et de la culture comme le font les « géants du net » ou quelques laboratoires pharmaceutiques et grands groupes d’édition scientifique qui, par l’utilisation des titres de propriété intellectuelle mis à leur disposition par le droit . Le numérique par son architecture a permis d’accélérer la non-rivalité de la connaissance. On retrouve dans cette réflexion une volonté de dépasser les « enclosures » crée par des propriétés privées (ici notamment les brevets, les licences …). Il est utile de rappeler que cette révolution vise uniquement à renforcer l’accumulation du capital et à accentuer la domination de ce dernier sur le travail. Ce qui explique qu'au lieu de libérer les travailleurs de leurs aliénations, cette révolution renforce l'aliénation et son emprisonnement. La révolution informationnelle permet ni plus ni moins que l’affermage de la connaissance (brevets et concentration des ces derniers entre les mains d'une oligarchie capitaliste mondialisée) et la production bon marché sur un espace en voie d'unification (avec la multiplication des zones de libre-échanges). C) Les communs et l'inexistante question du pouvoir Les communautés locales doivent elles être gérées par celles et ceux qui la fond localement vivre ? Doit-il exister des strates supérieures pour coordonner les productions ? La gestion des communs pose donc la question de la démocratie. La Commune de Paris de 1871, est la première forme de gouvernement des communs. La Déclaration au peuple français de la Commune du 19 avril 1871 vise une refondation de l’unité politique sur la base d’une fédération de communes auto-gouvernées : « L’unité politique, telle que la veut Paris, c’est l’association volontaire de toutes les initiatives locales». C'est une forme d'organisation nouvelle (pour l'époque) qui voulait rassembler républicanisme (hérité de la Révolution française), citoyenneté et socialisme utopique. Et ainsi permettre « l’intervention permanente des citoyens dans les affaires communales par la libre manifestation de leurs idées, la libre défense de leurs intérêts ». Sauf que cette belle idée c'est terminée de manière tragique, car elle n'a pas su s'imposer face à l’État comme superstructure de domination du capitalisme. Dans la Guerre Civile en France (1871), Karl Marx explique l'importance qu'il y a de mettre fin à l’État bourgeois et d'imposer un pouvoir nouveau, débarrassé des institutions anciennes : « La Commune, notamment, a démontré que la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre telle quelle la machine de l'État et de la faire fonctionner pour son propre compte. » « La Commune ne supprime pas les luttes de classes, par lesquelles la classe ouvrière s’efforce d’abolir toutes les classes et, par suite, toute domination de classe […] mais elle crée l’ambiance rationnelle dans laquelle cette lutte de classes peut passer par ses différentes phases de la façon la plus rationnelle et la plus humaine. » Lénine reprendra les conclusions de Karl Marx sur la nécessaire transformation du pouvoir au-delà de sa simple conquête dans le chapitre 3 de l’État et la Révolution (1917), citant abondamment la Guerre civile en France. En guise de conclusion, il serait important d'insister sur les limites politiques et structurelles de l'idée des communs. En réalité, aujourd'hui, il n'y a pas de théorie générale des communs, ni de vision plus ou moins clairement identifiable. Plutôt que faire revivre un socialisme utopique, il faut porter la question d'un socialisme scientifique aux couleurs du XXIème siècle, enrichi du bilan critique et scientifique des modèles du Xxème siècle, et résolument tourné vers une société qui place son ambition d'une société communiste affirmant : « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins » (Karl Marx, la critique du programme socialiste allemand de Gotha de 1875). Cette société que nous voulons, où « l'État pourra s'éteindre complètement quand la société aura réalisé ce principe ». Il nous reste cependant à répondre à la grande interrogation de Lénine : « Par quelles étapes, par quelles mesures pratiques l'humanité s'acheminera-t-elle vers ce but suprême, nous ne le savons ni ne pouvons le savoir. » Cette étape que nous appelons le socialisme et dont nous devons écrire une nouvelle histoire.