Notre démarche stratégique de transformation et de rassemblement, sur la base d'un bilan de la période écoulée et des enjeux de la période nouvelle - Congrès PCF

Note de lecture - « Capitalexit ou la catastrophe » de Jean et Lucien Sève

Je termine la lecture de ce livre et j'en fais une note parce que je pense que « Capitalexit ou la catastrophe » est un livre qu'il faut prendre très au sérieux. Surtout à la veille de notre congrès. 

 

C'est un livre d'entretiens, sept « conversations » entre Jean Sève, historien, et Lucien Sève, philosophe, le fils et le père. Je passe sur l'impression, entre touchante et agaçante, parfois laissée par ces conversations entre un père et son fils, là n'est pas du tout l'essentiel. 

 

Le message politique est fort, brillant et clair. Le style et le fond sont très pédagogiques. C'est un très bon livre politique. Et à mon sens très utile en vérité, parce que « secouant ». (Et on a besoin d'être secoués.) 

 

- Le point de départ de la démarche du livre est la thèse, connue maintenant, de Lucien Sève. « On est entré dans la catastrophe, c'est à dire, idée inouïe, le possible commencement de la fin pour le genre humain civilisé ». La catastrophe est écologique, « la déstabilisation gravissime d'équilibres planétaires essentiels par des activités humaines irresponsables ». Catastrophe écologique désormais reconnue. Moins reconnue et pourtant au moins aussi menaçante, la catastrophe anthropologique, « déstabilisation gravissime d'essentiels acquis de civilisation (…) qui menacent mortellement l'humanité du genre humain » et provoquent « la liquidation accélérée des valeurs humaines ». Il est urgent donc de prendre en compte et d'alerter sur la gravité extrême de la catastrophe en cours et d'identifier la nature réelle de la racine du mal : le capitalisme. Conclusion : « il faut sortir du capitalisme avant qu'il ne détruise l'humanité en même temps que la planète. Le reste est du vent. » C'est la raison du titre du livre « Capitalexit ou catastrophe ». 

 

- La deuxième thèse du livre est que le capitalisme est entré « en phase terminale ». Ce qui signifie non pas la « belle mort du capitalisme » mais « l'entrée dans une époque chaotique, grosse de bien des violences, mais où ne disparaîtra pour de bon que ce que nous serons capable de remplacer ». « C'est au peuple de lui donner ce coup de grâce que nous avons appelé « Capitalexit ». » En quelques pages, les auteurs dissèquent les raisons pour lesquelles ils affirment que « le capitalisme en est déjà à un tel point de pourriture générale qu'il n'en sortira plus ». Cette thèse et sa démonstration les conduisent à une critique de « la gauche réelle », les trotskystes, la France Insoumise et le PCF qui hésitent « à poser en grand la question de la sortie du capitalisme »

- J. et L. Sève précisent que sortir du capitalisme, c'est « sortir de l'ère des sociétés de classes, ça devient un changement de civilisation gigantesque ». Là encore, ils font démonstrations que les quatre dominations (économique, politique, militaire et idéologique) à l'origine de la domination de classe sont entrées en « phase terminales » elles aussi. Ils montrent ainsi comment l'évolution technologique permettant d'abaisser à l'extrême la valeur des marchandises évaluée en temps de travail nécessaire à leur production, ouvre la voie à la gratuité. Ou comment à travers le covoiturage ou les prêts de matériel de bricolage par exemple se développent les pratiques non propriétaires… Ils soulèvent avec force le recul démocratique, le mépris de la souveraineté populaire des système politique de ce qu'on appelait les « grandes démocraties ». 

 

- Ils affirment que lors des élections de 2017, les scores très bas du PCF, de LO et du NPA, de EELV « sanctionnent de façon irrécusable une incapacité à prendre la mesure de la catastrophe amorcée et à tracer la voie d'une issue crédible ». Et le succès de Macron s'explique « parce qu'en face il n'y a pas de force politique sachant dire avec audace que l'ordre du jour est à engager la sortie de la société de classe, rien de moins ». « L'impossibilité apparente du changement tient pour une grande part aux incapacités des militants du changement », avancent-ils. 

 

- Trois idées encore sont développées par les auteurs à l'occasion de cette troisième conversation. La première c'est que la fin de la société de classe signifie la fin de l’État au sens de l'appareil de domination de la classe possédante, pas la fin de la puissance publique mais au contraire son extension sur une base nouvelle, « celle de l'appropriation citoyenne ». La deuxième idée c'est que l'appareil répressif que la classe dominante se construit pour faire face à une révolution « barre une route qui n'est justement pas celle que va emprunter la révolution du 21e siècle », qui sera pacifique. La troisième idée, c'est un développement sur ce que Marx nommait les « présuppositions » historiques de la nouvelle forme sociale présentes dans la formation sociale capitaliste, ce qu'on nomme souvent le « déjà là » et que les auteurs appellent les « futurs présents ». Parmi ces « futurs présents », L. et J. Sève souligne « le plein développement des forces productives », inégal à l'échelle de la planète mais atteint dans l'Europe occidentale, et surtout « le plein et libre développement de tous les individus »

 

- « Comment engager sans délai la transformation révolutionnaire qui dès lors s'impose ? » est le point de départ de la quatrième conversation. Pour les auteurs il s'agit de faire une révolution tout autrement. Être révolutionnaire aujourd'hui, c'est vouloir sortir du capitalisme, en finir avec une société de classe et ça exige de « s'être entièrement dépris, en idée et en acte, de cette révolution ancienne ». Partout et en tous lieux, la révolution armée a abouti à de profondes déceptions, même si elles sont parfois parvenues à se débarrasser de régimes autoritaires ou dictatoriaux. Elle ne peut être la réponse à nos problèmes actuels dans les pays développés. Et même là où, dans l'histoire, elle a été possible, la suite a été particulièrement contre-productive. La « faillite historique » est que partout, la révolution ancienne a abouti au contraire d'une émancipation et d'une désaliénation. Pour les auteurs, la « prématurité historique » du « communisme » du siècle dernier « s'est payée de deux errements politiques catastrophiques » : le « programmatisme » (on invente une société au lieu de l'observer) et le « verticalisme », (le changement forcé par le haut).

- L. et J. Sève critiquent ce qu'ils appellent « l'autre variante de la vieille stratégie révolutionnaire : la variante électorale ». Toujours la conquête par le haut du pouvoir politique en préalable du changement de société. Une variante pacifique de l'insurrection révolutionnaire armée. Une voie qui relève de l'illusion. « La sortie du capitalisme par les urnes est une vue vraiment débile », affirment-ils.

- Ils estiment que se « préfigure aujourd'hui de façon silencieuse, une révolution post capitaliste de nouvelle sorte ». Ils empruntent à Jaurès la formule clé de « réformisme révolutionnaire » et examinent ce que peut être « une réforme révolutionnaire. Une transformation sociopolitique circonscrite mais importante, majoritairement soutenue, qui dépasse l'état des choses actuel en mettant fin à ce qui y constitue un aspect substantiel de la domination de classe ». Exemple la séparation de l’Église et de l’État ou la création de la Sécurité sociale. Et ils soulignent l'aspect durable et enraciné de telles réformes malgré les efforts de la classe dominante pour les remettre en cause et concluent qu'on peut passer au post capitalisme si ce passage devient « une convaincante expérience populaire ». Ils voient dans le projet de sécurité d’emploi et de formation du PCF et (je souligne le « et ») le projet de Bernard Friot de salaire à vie, des exemples de réformes révolutionnaires particulièrement solides. Il s'agit donc aujourd'hui de repérer et déceler les réformes potentielles qui mûrissent dans la société pour construire « l'évolution révolutionnaire » à laquelle Marx pensait au lendemain de l'échec des révolutions de 1848.

 

- Les auteurs parcourent les grands domaines de la vie sociale où se jouent de tels mûrissements. La consommation, l'ESS, … Il s'agit de substituer au « vieux programmatisme » vertical, une « élaboration rationnelle des futurs présents ». Futurs présents qui peuvent être négatifs comme les catastrophes écologique et anthropologique amorcées ou positifs comme le développement de la productivité du travail ouvrant la voie à la gratuité, l'universalité de la communication interhumaine ou le développement des capacités individuelles… Ils mettent en avant aussi le potentiel d'engagement dans les associations notamment. Pour une force politique de gauche réelle, le premier enseignement devrait être un « radical déplacement du centre de gravité de son action » pour s'arracher de la logique et des normes du système institutionnel en vigueur.

 

- Cela pose effectivement la question de l'organisation. Si on passe de la révolution conquête du pouvoir à l'évolution révolutionnaire conquête de l'hégémonie culturelle, il faut passer d'un parti prétendant conduire le processus à partir d'un imaginaire d'en haut au processus produisant lui-même du dedans les moyens de son auto direction. Au dilemme « parti ou mouvement », les auteurs avancent l'idée d'une structuration associative en collectifs non généralistes mais thématiques.

 

- Avant d’en venir au comment faire, J. et L. Sève passent à la moulinette critique l’ensemble de « la gauche réelle ». La critique du PCF notamment, sans être totalement injuste, est sévère et sans doute trop définitive. « Le drame du Parti communiste français, c’est qu’en vérité, il n’est plus communiste ». Une « dégénérescence » qui vient du 22e congrès où Georges Marchais a eu la « clairvoyance » de comprendre qu’il fallait abandonner la révolution ancienne et son emblème la dictature du prolétariat mais sans la remplacer par une autre stratégie révolutionnaire adaptée à l’époque. Le PCF s’est donc « rabattu sur une politique à dominante électorale », et est resté « sans cap ». Ils en tirent conclusion que « l’avenir du communisme exige un au-delà du PCF » et que bien qu’il reste « des forces vives dans ce parti en proie à la mort », ils semblent juger que le PCF et les communistes qui y sont restés sont disqualifiés pour participer à une nouvelle aventure communiste. Jugement que je ne peux partager. Du Parti communiste il ne resterait qu’un « emplacement ». Méconnaissance ou aveuglement ? Les auteurs ignorent la profonde transformation de l’organisation et des pratiques des communistes et ne disent mot de leurs initiatives politiques récentes, la création du Front de gauche notamment. Transformations et initiatives politiques qui, évidemment, ne font pas le compte d’une réinvention radicale qui reste nécessaire.

 

- Critique encore, sévère, au scalpel, du programme l’Avenir en commun, des conceptions et des pratiques, très en dessous d’une démarche révolutionnaire, de Mélenchon et de la France Insoumise. « A le lire, on découvre cette évidence : que Mélenchon est un socialiste, disons le meilleur des socialistes possibles, à peu près étranger à la culture communiste ».

 

- Le livre de Jean et Lucien Sève se veut le manifeste du « réformisme révolutionnaire » une formule qui, à mon avis, traduit et rend efficients les efforts de novations stratégiques des communistes de ces dernières décennies. Les auteurs ne cachent pas les difficultés politiques à tirer leçon de ces thèses pour inventer au concret une stratégie et une organisation révolutionnaires.

 

- Il me semble que la pensée dialectique qui domine par ailleurs l’analyse de Jean et Lucien Sève, cède à cet endroit un peu le pas à l’imaginaire vertical (d’en haut) pour concevoir une organisation du « réformisme révolutionnaire ». Ainsi, même si la référence aux « futurs présents » est constamment posée, les réformes révolutionnaires possibles sont listées par les auteurs plus en lien avec la théorie marxienne qu’avec ce qui émerge dans la société elle-même. Qui décide ? La question de la centralité de la démocratie, (une démocratie réelle, je ne parle pas là des institutions) ne semble pas vraiment posée.

 

- De même concernant l’organisation, leur proposition d’une sorte de fédération ou réseau de collectifs thématiques, composé de militants qui se consacreraient exclusivement à des campagnes thématiques, pose la question du choix, de l’envie, des aspirations militantes. Rien n’est dit non plus des moyens matériels, financiers, humains nécessaires pour une organisation qui veut exercer une hégémonie culturelle et idéologique dans la société.

 

- Les auteurs concèdent le besoin, non d’une verticalité territoriale qu’ils écartent absolument, mais d’une certaine centralité dans l’organisation révolutionnaire, notamment pour la participation aux élections. Mais ils ne parlent que des élections nationales, du pouvoir central, et conçoivent donc cette centralité comme pouvant être partielle ou temporaire. Mais jamais ils n’évoquent les pouvoirs locaux, communes, départements, régions. Or une part non négligeable des « futurs présents », des « déjà-là d’une société sans classe », peuvent se repérer, s’élaborer, s’expérimenter dans ces espaces de pouvoir et ce serait impensable de les négliger dans le cadre d’un réformisme révolutionnaire. Il y a donc sur ces points matière à travailler et à discuter.

 

-J’ai écrit cette note personnelle non avec la prétention de résumer ou de critiquer « Capitalexit ou la catastrophe », mais pour inciter à sa lecture. Elle doit susciter des réflexions et un dialogue indispensables. La lecture du livre de Jean et Lucien Sève me semble être un outil majeur dans les efforts politiques et théoriques à consentir pour une réinvention communiste digne des temps présents.

 

Olivier Mayer