La formation des communistes - Congrès PCF

former un parti de militants

La « demande de formation » qui monte incontestablement dans le parti depuis plusieurs années est à la fois un signe de prise de conscience qu'on ne peut militer sans connaître un tant soit peu le domaine où on intervient et le sens de la parole collective qu'on y représente, un appel à davantage d'initiatives dans cette optique, et un espoir que se trouverait là une des clefs pour sortir de l'ornière proprement politique. Comme il me semble que la perpétuation du pcf n'a de sens et de chance que dans l'existence d'une forte et large assise de militants convaincus et convaincants d'où pourraient ensuite émerger un réseau d'élus et un tissu de sympathisants tous deux appelés à s'étendre, je partage cette triple ambition de militants mieux formés et plus responsables, donc d'un développement de la formation parmi les activités du parti, qui puisse à terme servir de levier pour déployer plus largement (et approfondir) une politique qui reste, d'ailleurs, à redéfinir. Mais, si, comme je l'espère, notre congrès maintient le nom du pcf, revendiquant ainsi une bonne part au moins de continuité avec son histoire, il convient d'emblée de relativiser : la formation ne fera pas tout. Selon les circonstances historiques (et géographiques!) il y a eu au pcf des militants spécifiquement très formés et d'autres beaucoup moins, et la culture communiste en France, dont il y a certes toujours lieu de dresser l'inventaire éventuellement critique, s'est constituée du mélange de toutes ces histoires différentes, des « grands intellectuels » mettant leurs compétences au service du parti, des militants syndicaux devenant dirigeants politiques, des militants exemplaires formés « sur le tas » (ou sur la barricade, dans les grèves, dans la Résistance, les manifestations pacifistes, les réunions, les campagnes électorales) et pas tous pris en charge par une politique de formation ! D'autre part, le fléchissement de la formation, pendant quelques décennies, au sein du parti tient évidemment à plusieurs facteurs, en partie contradictoires : par exemple l'évolution sociologique des adhérents, la possibilité (et éventuellement l'illusion) qu'un militant communiste se forme en dehors du parti dans un contexte social où les problématiques de formation ont beaucoup évolué, la difficulté à déterminer « d'en haut » la formation dont les communistes ont besoin, les doutes, justifiés ou non, sur la pertinence de ce qui constitua longtemps la doctrine théorique des écoles du parti et qui mérite autre chose qu'un simple toilettage ou qu'un rejet total, et surtout peut-être les hésitations et revirements mal explicités de la politique du parti elle-même. Ainsi, la mise en avant de cette demande pour un congrès extraordinaire doit être traitée politiquement (=débattue) comme un triple enjeu : politique, social et culturel, à l'intérieur et à l'extérieur du parti. Politiquement, l'enjeu de la formation pour un parti communiste est de donner à ses militants (porteurs de positions collectives) les moyens de leur implication dans les luttes, les campagnes idéologiques ou électorales, les débats et les responsabilités électives. Et, pendant des années s'est développé sans forcément s'exprimer, le sentiment, justifié ou non, d'un fossé croissant entre les besoins de formation et les moyens mis en oeuvre par le parti. Même en retenant cette hypothèse, il ne suffira pas de réparer un oubli, de « rétablir » une habitude, de traiter un manque. Il faudrait sans doute décider d'une démarche aussi inédite ou extraordinaire en matière de formation que l'ensemble de l'invention politique attendue de ce congrès. On pourrait au moins trouver un repère, facile à dire : l'exigence que chaque communiste, quitte à se montrer critique, puisse se sentir aussi maître que possible de la politique (analyses, positions, démarches, stratégie, visée etc) de son propre parti sur le plan de la connaissance, comme la démocratie interne doit l'en rendre maître sur le plan des décisions. Pas facile à faire donc : même dûment mandaté, même personnellement formé, un délégué au congrès sera forcément amené à voter parfois sur certains sujets en faible connaissance de cause, le pari de tout congrès, de toute politique démocratique étant que le nombre de participants puisse pallier leurs inévitables fragilités individuelles … surtout quand on voit le travail accompli entre deux congrès par les commissions spécialisées, ou quand il arrive qu'un congrès défasse ce qu'un autre aura cru établir solidement... Faut-il pour autant se résigner à ce que même la seule politique de son propre parti soit pour un militant un océan de complexité mouvante et insondable ? Il me semble au moins qu'on pourrait espérer que la culture militante d'un communiste puisse reposer sur une capacité à approfondir une démarche, une logique, une stratégie d'ensemble, bref, ce que les documents préparatoires nomment « le sens du combat communiste aujourd'hui ». L'amélioration prioritaire de cette maîtrise individuelle et collective par les communistes eux-mêmes du sens du combat qui les rassemble, puis de son inévitable déclinaison dans des « secteurs » ou domaines spécifiques qu'aucun individu ne pourrait tous connaître, mène nécessairement à une meilleure demande de maîtrise du monde lui-même : l'activité communiste n'est pas hors-sol, en principe, si elle est bien le mouvement réel qui abolit l'ordre existant. Chaque communiste détient, par son expérience et ses engagements personnels, des connaissances sur le monde, et le travail collectif devrait tirer … le « meilleur parti » de la mise en commun de ces cultures individuelles. Ce n'est manifestement pas toujours le cas: sollicitation insuffisante, malaise proprement politique ou absence de méthode ou de temps ? Combien de communistes estiment leurs compétences sous-utilisées ou ignorées, ou mal prises en compte ? Même si les malentendus apparents cachent parfois de réelles divergences politiques qu'il faut travailler, on peut travailler à partir de ce bien commun de tous les communistes : la conviction que connaître, interpréter parfois, et transformer le monde sont intimement liés. En ce sens la formation des communistes a une ambition indissociablement encyclopédique et révolutionnaire. Tout est bon à savoir, et la politique de formation du parti doit idéalement être le réceptacle critique de visions (pas toutes révolutionnaires!) d'un monde en perpétuelle transformation (y compris réactionnaire). Ainsi exposée, l'ambition de formation contraste trop fortement avec la modestie des moyens dont dispose aujourd'hui notre parti : il ne peut pas tout enseigner, quand bien même « l'éducation populaire » en son sein serait sa seule fonction ! Il ne peut pas tout capter et synthétiser explicitement des transformations du monde, quand bien même l'ensemble de ses militants auraient à eux tous les antennes suffisantes pour lui apporter des informations exhaustives. Alors ? Pour la formation comme pour toute activité politique, à la « visée » d'ensemble, doivent s'ajouter des priorités stratégiques (aujourd'hui ? Selon moi : rendre confiance aux militants et unité au parti), avec des adaptations tactiques selon le moment, le lieu et la sensibilité des individus et des questions (aujourd'hui, par exemple répondre aux questions, qu'elles semblent faire consensus ou pas « entre nous », sur le nucléaire ici, là sur l'Europe, ailleurs sur nos propositions économiques...). Culturellement, on mesure aussi combien la formation peut être un des vecteurs de la reconquête de l'unité du parti, unité fondée sur un débat démocratique revigoré. Il s'agit en somme de redonner forme à une culture communiste identifiable par les communistes eux-mêmes et par ceux qui, occasionnellement ou durablement, sont amenés à lutter, débattre, chercher avec eux. Sans sacraliser ni renier les recettes et repères du passé, reconnaissons que l'  « empreinte communiste » n'est pas effacée dans la société française (voire dans un contexte plus large) et qu'elle peut reprendre corps, s'approfondir au prix éventuel de bougés, dont le congrès décidera peut-être... En ce sens, que le parti prenne soin de sa capacité de formation, en son sein et au-delà, serait une part non négligeable de l'acte politique d'ensemble qu'il est appelé à accomplir pour réaffirmer sa place dans la vie et les combats des classes populaires. Cette ambition suppose cependant un autre niveau du débat démocratique interne, miné par des fonctionnements et des pratiques qui l'appauvrissent ou, le cas échéant, l'évacuent complètement. Comment en est-on arrivé, par exemple, au sein d'un parti de militants, à des relations aussi tendues et dégradées que celles qui ont pu se donner libre cours sur les réseaux sociaux mais aussi dans les instances pendant la campagne présidentielle 2017 ? La pression des modèles triviaux de fonctionnement de beaucoup de forums de discussion en ligne mène, jusque sur le présent site de préparation du congrès, à des relations à coups d'insultes qui sont aux antipodes d'une ambition de formation. Même s'il n'y a pas de solution miracle « en ligne » pour une politique de formation politique, il y a bien une exigence de prise en compte et de développement de ces outils nouveaux, mais avec une éthique communiste qui reste à récrire, pour imposer au sein du parti puis au-delà une ambition démocratique inédite. Un communiste peut-il en prendre impunément un autre pour un imbécile ou instruire d'autorité son procès à sens unique – et ensuite prétendre lui proposer une formation ? Plus polémique ? Je reste convaincu que la démocratie dans le parti a perdu beaucoup de sa puissance avec l'organisation statutaire de quasi tendances, qui crispe bien plus que la préparation des congrès. Et la formation des communistes en a elle aussi fait les frais : ainsi, la cohérence n'est pas toujours facile à trouver entre les propositions des différentes commissions du parti travaillant sur des secteurs contigus. Alors entre partisans de tendances ouvertement opposées ! Qu'ils le veuillent ou non, les communistes sont égaux dans leur parti, notamment en matière de formation. L'articulation entre la reconnaissance académique des compétences et le principe d'égalité de droits jusque dans le rapport aux savoirs est une difficulté que seul un parti communiste peut affronter, et qui conditionne la crédibilité de ses proclamations et de son fonctionnement démocratiques. Or l'institution de quasi tendances ne saurait encore coexister avec une culture et une formation communistes démocratiquement conçues. Si l'on veut que les communistes dans leur parti comme les citoyens dans la société deviennent maîtres de leur formation, il faut éliminer, y compris pour le bien de la formation des militants, toutes les dérives potentiellement claniques et sectaires. On dit souvent que dans tel ou tel domaine, « nous ne partons pas de rien » : en matière de formation c'est certes particulièrement vrai mais, concernant les processus de formation entre égaux, tout est toujours à remettre sur le métier, surtout quand les nouvelles technologies bousculent et retravaillent la donne comme jamais. C'est donc aussi parce que le numérique fait et défait de la socialité que nos pratiques de formation posent directement la question de notre lien avec la société : le parti ne peut plus être son guide, quand il cherche à tâtons son chemin. A quelles conditions peut-il même ambitionner être son « instituteur », quand tant d'institutions politiques (état bourgeois), économiques (marchés financiers) voire anthropologiques (patriarcat) sont bonnes pour la casse, quand le monde reste entièrement à repenser et à « réinstaller », comme disent nos ordinateurs ? C'est donc du lien intime de l'organisation politique communiste actuelle avec le communisme à venir que traite le besoin de formation. Et, s'il s'exprime fortement dans le parti, ce besoin le déborde complètement : il naît dans la société, et particulièrement dans les classes sevrées de la maîtrise théorique et pratique sur le monde, laissées pour compte du système éducatif, et premières victimes de la fracture numérique. Mais, pour ne pas être caricatural, comme ce tableau est lui-même mouvant, la formation des communistes pour le communisme demande à la fois beaucoup d'ambition et de circonspection, de volonté et de prudence : bref de savoir-faire politique. Ainsi, l'éducation populaire est aujourd'hui une richesse à préserver, développer, penser. Et notre parti doit en être un acteur sincère, parmi d'autres, avec son histoire, ses convictions et ses vues, ses doutes et ses manques aussi. Même sans s'interroger sur cette étrange distinction entre des communistes qui seraient à former (au moule ?) et un peuple qui serait à éduquer (comme un enfant?), comment articuler la formation entre communistes et l'éducation populaire ? Sans formalisme ! Y a-t-il vraiment beaucoup de « formations » du parti dont les contenus ne peuvent intéresser que ses adhérents ? Dans la vie sociale, le temps de formation est aujourd'hui souvent conçu comme en concurrence avec le temps de travail : travailler plus empêche de se former mieux et de travailler mieux, et, sans doute, de vivre mieux- et notre proposition de sécurité-emploi-formation, pour ce que j'en comprends, permettrait de modifier la donne. Dans la vie militante, se former plus est-ce du temps pris sur l'activité militante ? Et à quelles conditions est-ce du temps pour militer mieux ? C'est aujourd'hui une double difficulté de réunir des camarades pour un temps de formation : cela semble du temps personnel en plus pris à la vie privée, et c'est aussi du temps collectif pris sur l'urgence politique. Peut-on imaginer que le communisme serait un monde où les urgences reculeraient assez pour que vie personnelle et vie militante en soient réconciliées, rassérénées, voire dynamisées ? A Lénine qui disait que l'impatience est une vertu révolutionnaire, un certain Fiterman répondait (dans un entretien à l'Humanité des années 80) que la patience aussi est une vertu révolutionnaire. Ne tranchons pas : il n'y a pas de formation qui tienne sans l'impatience de la curiosité ni la patience de la méthode. Ce qui distingue la formation c'est la décision, si possible collective, qu'il est bon d'y consacrer du temps, et de le gérer différemment du reste de l'activité politique, notamment en s'abstenant de prendre des décisions. De même la distinction entre formateur et « stagiaire » pourrait se définir ainsi : l'un a eu ou a pris du temps pour s'informer (ce temps peut être celui de toutes ses études universitaires ou quelques semaines pour potasser une question), l'autre pas, mais tous deux trouvent du temps pour se poser ensemble un certain nombre de questions, avec peut-être des objectifs de concordance politique. Beaucoup de hiérarchies peuvent s'assouplir ainsi : entre savants et néophytes, entre questions essentielles et questions prétendument périphériques, entre stages nationaux et stages locaux, par exemple. Comme toute question politique, les initiatives de formation sont à la fois liées à des préoccupations de long terme et à des décisions opportunes. Autrement dit elles sont des actes politiques de plein exercice, difficiles mais nécessaires.